Respira Lorenzo, Respira… Pourquoi est-ce que j’avais le cœur battant à ce point ? Pourquoi est-ce que d’un coup j’avais l’impression de ne plus être l’homme assuré et charmeur de ces dames ? Pourtant j’étais toujours moi-même non. Toujours le patron, avec la prestance qui va avec et l’assurance que tout ira bien. J’avais entendu parler d’une soirée à thème à l’Harmony Bar ce soir à l’auberge de jeunesse et sur un coup de sang, je me suis dit que peut-être je pourrais revoir Guilia là-bas. Parce que cette femme m’avait littéralement scotché durant le festival cet été et j’avais limite des regrets à son départ. Alors la retrouver dans une petite ville d’un pays aussi vaste que les Etats-Unis, c’était presque inattendu. Cela fait écho à cette petite voix, cette parole douce que ma mère me soufflait lorsque j’avais des doutes : « abbi fiducia nel tuo destino, figlio moi » (aie confiance en ton destin, mon fils). Ma mère était je crois la personne la plus sage et la plus douce que j’ai connue. Toujours une parole aimante, un mot pour réconforter et soutenir. J’aimais cette femme de tout mon cœur. Alors oui, chaque fois que j’ai des doutes ou des appréhensions je pense à elle, à cette phrase qu’elle me disait parfois et qui me rendait toujours le sourire.

Je souffle alors un bon coup en sortant de ma voiture pour me rendre au fameux bar. Je ne tarde pas à entrer et à m’installer au bar pour prendre une commande. J’ai un espoir plus ou moins mesuré de la revoir, d’avoir la confirmation que c’était elle et de savoir si vraiment elle était le signe de mon destin pour que l’on arrête de fuir ma sœur et moi et que l’on se pose dans cette ville. J’avais déjà fait un aller-retour dans le café où je l’avais aperçu sans que la recroiser pour autant alors ce soir je me disais que j’avais peut-être une chance à une soirée à thème…

Scrutant la salle en attendant mon verre de punch prévu à la carte de la soirée, j’observe les gens qui vont et viennent, qui discutent ou rigolent, certains chantent déjà plus ou moins juste. Je souris nonchalamment à l’idée de peut-être trouver un havre de paix… Et soudain, je la vois. Giulia. Toujours aussi belle, toujours aussi rayonnante, toujours aussi captivante. Elle est là. Je ne la quitte pas des yeux jusqu’à croiser son regard et lui accorder un sourire… Se souviens-t-elle seulement de moi ? C’est seulement maintenant que je réfléchis à cette idée, cette possibilité de n’avoir été qu’un passage de son existence aussitôt oublié dès qu’elle a quitté l’Italie.

Une semaine et deux jours. Deux jours que tu étais chez ta sœur, mais une semaine que tu étais en ville. En une semaine tu avais pu découvrir certains endroits, comme l’Harmony Bar. Un karaoké comme tu les aimes. Tu y étais allée une fois depuis ton arrivée. Pour t’enivrer dans l’alcool. Tu avais besoin d’oublier. D’oublier ta dernière relation qui avait été un échec. Échec parce qu’il avait osé lever la main sur toi. Toi qui étais amoureuse de lui. Lui qui avait été présent dans certains moments de ta vie où tu avais eu besoin de soutien. Le quitter n’avait pas été facile. Tu avais simplement ramassé tes choses, fait tes valises et pris l’avion pour Holden. Tu avais certes téléphoné à tes parents pour leur dire que tu allais rendre visite à ta sœur, mais tu n’étais pas entrée dans les détails. Enfin, tout ça pour dire que ce soir, tu avais besoin de t’évader. Au départ, ayant la maison que pour toi, tu pensais rester à la maison, profiter de la solitude pour relaxer, profiter du moment, mais après quelques minutes, le silence te pesa sur les épaules. Tu avais besoin d’être entouré, que ce soit par ta famille, des amis ou même des inconnus. Il fallait que tu sortes. Une soirée au karaoké, voilà ce dont tu avais besoin. L’avantage quand tu arrivais en ville, personne ne te connaissait, alors chanter comme une casserole ne dérangeait pas. Toute manière, il y en avait des pires que toi.

Il était encore tôt lorsque tu arrivas au bar. Tu voulais être dans les premières à passer au micro pour te défouler un bon coup et tu préférais quand il n’y avait pas trop de monde. Comme c’était le thème Country, tu étais vêtu de bottes de cowboys, emprunté à ta sœur, et une robe fleurit avec une veste en jeans. Tu voulais te mettre dans l’ambiance. Tu chantas « Take me home, Country Roads » avec quelques mauvaises notes, mais on te fit une petite ovation à la fin. Tu remercias ton public et allas au bar pour prendre une consommation. Tu discutas un peu avec le barman avant de retourner t’asseoir à une table près de la scène.

Installée à une table, tu fixas la scène attendant la prochaine personne, mais personne n’osait vraiment. La gêne sans doute. Quand tu avais quelques verres dans le corps, tu ne craignais plus le ridicule. Non pas que tu étais complètement saoule, mais disons que tu n’étais pas totalement responsable de tes actes. Sentant que tu commençais à avoir trop bu, tu décidas de changer de consommation pour une limonade. « Il faut te calmer » pensas-tu. Tout ça, ça ne te ressemblait pas. D’ordinaire, tu étais une personne sage, mais là, tu étais perdue et l’alcool était une bonne échappatoire... Alors que tu tentes de reprendre tes esprits, tu observas autour de toi pour voir s’il y avait des têtes connues et tu croisas son regard. Tu l’observas quelques instants, te disant qu’il ressemblait à quelqu’un, mais qui... où l’avais tu déjà croisé. Il te sourit sans te quitter des yeux. Tu décidas finalement de te lever et aller le voir. « Hey, j’peux savoir ce que tu regardes ? » direct et sans filtre, tu lui demandes pourquoi il te regarde de cette façon. Non pas que c’était désagréable, mais comme tu avais quelques verres dans le corps, tu étais un peu irritable.

Outre le lieu bruyant et l’ambiance chaleureuse de la soirée, je ne me sentais pas forcément à ma place. Je n’avais rien de quelqu’un de froid à proprement dit, mais pour autant, je n’étais pas l’homme le plus expressif ou le plus chaleureux du monde – hormis peut-être dans les bras d’une femme. Mais la femme que je regardais en cet instant avait ce don de réchauffer mon cœur, et cela, même alors qu’elle était à l’autre bout de la pièce et que je ne m’étais jamais réellement rapproché d’elle jusqu’alors.

Elle est d’une beauté à couper le souffle et d’ailleurs, penser à elle me faisait rater un battement tant elle m’avait subjugué. Désormais que je la savais dans la même ville, j’avais la ferme intention de rester ici et de profiter de ce nouveau départ forcé pour potentiellement refaire ma vie – ou plutôt me créer une vie digne de ce nom.

Pour autant, je ne m’attendais pas à ce qu’elle se lève d’un coup, d’un seul après avoir croisé mon regard où simplement après le sourire que je venais de lui faire. Je me serais attendu à un petit jeu de regard ou même de séduction avant que finalement, je n’ose aller vers elle, mais c’est tout l’inverse qui se produit puisque c’est elle qui vient vers moi. Pris au dépourvu, je ne bouge pas de ma place pour autant et mon regard se fixe sur elle. Alors plus rien ne compte autour de nous, il n’y a plus de musique – si ce n’est un bourdonnement – plus de brouhaha – si ce n’est quelques murmures – et je ne suis qu’avec elle.

Je souris à sa phrase, directe et sans faux-semblants, qui me laisse comprendre qu’elle ne se souvient plus de moi. Je crois qu’une part de moi est déçu, mais en même temps, vu les conditions de notre rencontre, c’était une éventualité que j’aurais dû envisager.

« Hey… Je t’observe parce que d’une part, tu es magnifique et d’autre part parce que je suis très agréablement surpris de te retrouver ici, dans cette ville, Giulia. »

Semi-mensonge ou semi-vérité. Oui, j'étais heureux de la retrouver, mais ce soir dans ce bar, ce n’était pas vraiment un hasard. J’avais cherché à la retrouver depuis que je l’avais observé, assise sur la terrasse de ce café. Cependant, comme la courtoisie me l’oblige à le faire, je lui tends ma main amicalement en ajoutant :

« J’ai cependant l’impression que tu ne te souviens pas vraiment de moi alors, je me représente… Lorenzo Marinelli…  Nous nous sommes croisés il y a quelques semaines lors d’un festival en Italie. Cela te rappelle quelque chose ? »

D'habitude, tu aurais opté pour un endroit plus calme pour te détendre un peu. Toi qui avais toujours eu la tête dans les bouquins, tu t'étais toujours considérée comme une personne tranquille, posée, et surtout pas du genre à sortir faire la fête. Et pourtant, te voilà ce soir dans un bar à karaoké, prête à t’amuser et à lâcher prise. Avec les événements récents, tu avais besoin de te changer les idées, et ce bar t’était venu à l’esprit comme une évidence. Tu t’étais déjà rendue ici lors de ton arrivée en ville et, curieusement, tu avais eu envie de revenir.

La soirée promettait d’être animée. Ce soir, tu avais décidé de sortir de ta zone de confort, de t’amuser et d’oublier un peu toutes les préoccupations qui t'avaient suivie depuis ton arrivée. Et quoi de mieux que de chanter à tue-tête et regarder les autres se ridiculiser pour évacuer tout ça ? Bon, certains étaient plutôt doués, mais toi, tu étais là pour t’amuser, même si cela signifiait te ridiculiser un peu. Tu avais déjà quelques verres dans le nez, alors, demain, tu risquais bien d'avoir oublié cette soirée.

Installée à une table près de la scène, tu jetais un coup d’œil autour de toi, profitant de l’instant pour reprendre tes esprits. C'est alors que tu aperçus un homme, un regard fixe et appuyé sur toi. Plus tu le fixais, plus il te semblait familier, comme si tu l'avais déjà croisé quelque part. Mais où ? La question te trottait dans la tête. Trouvant son regard un peu trop insistant, tu décidas de te lever et d’aller lui parler. Tu t’approchas et lui demandas ce qu’il avait à te regarder comme ça.

Il te répondit, avec un sourire qui semblait à la fois charmant et intrigué : « Hé… je te regarde parce que d’une part, tu es magnifique, et d’autre part, je suis vraiment surpris de te retrouver ici, dans cette ville, Giulia. »

Sur le coup, tu restas figée. Un peu prise au dépourvu, avec la tête qui tournait encore, tu t’étais levée si vite que tu avais à peine eu le temps de réaliser ce qui se passait. Tu pris une grande inspiration, essayant de calmer la confusion qui s’emparait de toi. « D’où tu connais mon nom ? Et… merci pour le compliment. » Tu marquas une pause pour avaler ta salive, sentant une légère nausée t’envahir. Mais pas de panique, tu ne comptais pas te laisser aller à ça. D’un geste, tu fis signe au barman pour un verre d’eau, espérant que ça t'aiderait à digérer tout ça.

« Me retrouver ici ? » répétas-tu en te retournant vers l’inconnu, un peu plus perplexe. Donc vous vous étiez déjà rencontré, mais tu n’arrivais pas à te souvenir... Voyant ta confusion, il s’empressa d’ajouter à te tendant la main. « J’ai cependant l’impression que tu ne te souviens pas vraiment de moi alors, je me représente… Lorenzo Marinelli…  Nous nous sommes croisés il y a quelques semaines lors d’un festival en Italie. Cela te rappelle quelque chose ? » Mais oui !! Tu venais de te souvenir. Ce fameux festival de musique. Tu l’avais rencontré par hasard, vous aviez échangé quelques mots puis vous vous étiez perdu de vue parmi la foule. « Lorenzo… » Tu tendis ta main afin de serrer la sienne. « Enchanté de te revoir. »