Cela faisait quelque temps que j'avais débarqué à Holden. Ma vie en Australie me manquait. Mes amis en Australie me manquaient. J'étais venue ici surtout parce que ma meilleure amie pensait que je serais bien avec son frère. Qu'il pourrait me redonner le sourire comme ça avait pu être le cas quelque temps auparavant. Seulement les choses avaient changé : on avait vécu une relation à distance pendant un an. Une année à ne pas être sur le même fuseau horaire. Une année à avoir des nouvelles de temps en temps de lui. Une année où j'avais l'impression de ne plus compter à ses yeux. Une année où je m'étais certainement éloigné de lui et lui aussi. La vie ici me plaisait, tout de même. Je m'étais fait de nouveaux copains. J'enchaînais les soirées et les excès, jusqu'au jour où ça allait me jouer des tours. Mais je préférais vivre dans l'insouciance la plus totale. Me dire que rien ne pouvait m'arriver. Advienne que pourra, comme j'aimais parfois le dire. Dans tous les cas, je n'avais plus vraiment rien à perdre : il m'était impossible de remonter sur une planche de surf. Et j'avais tous mes espoirs volés en éclat, à la seconde où le kiné m'avait informé de cette nouvelle. J'avais peur de continuer à vivre dans un monde où je ne pouvais plus exercer ma passion. Certains diront qu'il n'y a pas que le surf dans la vie ou que c'est juste une question de volonté. Mais personne ne sait réellement ce que c'est d'avoir ses espoirs brisés à l'âge de quinze ans.

Aujourd'hui, on avait décidé d'aller manger au restaurant avec des copines. La veille, on 'était sortie. On avait fait la fête. On avait vu. J'avais un mal de crâne impossible à faire passer. Pourtant, il fallait combattre le mal par le mal : sortir, manger un bout en ville et certainement boire un ou deux cocktails. J'avais la chance de faire partie de cette jeunesse dorée, qui peut tout se payer. Bien que mes parents aient toujours été au quatre coins du monde, ils avaient pris l'habitude de me faire un virement tous les mois. Ils se moquaient pas mal de ce que je faisais de mon argent et ça m'arrangeait. C'est certainement aussi pour ça que je n'avais pas vraiment d'ambition dans la vie. Je n'allais pas vraiment en cours, préférant largement les soirées et les pauses sur la plage. Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je ne me posais pas vraiment la question. L'insouciance à son paroxysme. Avec les filles, on avait opté pour un petit restaurant italien, que je ne connaissais pas encore. Je les avais suivis sans sourciller. La cuisine italienne est vraiment ce qu'il y a de meilleure. On entrait dans le restaurant et on indiquait une table. Si je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie, je savais, cependant, que je ne voulais pas devenir serveuse. Pour moi, elle faisait partie du petit personnel. Je n'avais pas envie de faire partie de ce dernier.

On apportait les cartes et je commençais à regarder ce qu'il proposait. Mes yeux s'arrêtèrent sur la carte des boissons : j'allais forcément prendre un cocktail pour l'apéritif. Mais je ne savais pas encore lequel. On passait plus de temps à discuter qu'à réellement regarder la carte. Mais de toute faon, c'était toujours comme ça : les sorties au restaurant pouvaient s'éterniser pendant de longues heures, ce qui avait le don d'agacer les serveurs. Mais en réalité, je m'en moquais pas. Après tout, le client est roi, non ?

Aller au restaurant avec mes copines ne pouvait que me faire du bien. J'adorais sortir avec ces dernières. On pouvait parler de tout et de rien. Je leur parlais de mes histoires de cœur. Il n'y en avait pas trente-six non plus : j'étais en couple. Et je crois que ça pouvait être l'homme de ma vie, même s'il n'était pas du genre très fiable parfois. On ressemblait, de près comme de loin, à un couple goal. Certaines de mes copines m'enviaient. Mais je leur disais souvent que ce n'était pas tous les jours facile d'être en couple. Qu'il fallait faire des concessions. Et que l'on n'était pas aussi libre qu'on le désirait. Le pire, c'est que je sortais avec le frère de ma meilleure amie. Et ça me mettait une pression supplémentaire. Je ne devais pas faire de mal à son frère. D'ailleurs, ce n'était pas tant une bonne idée que ça de sortir avec le frère de sa copine. Elle se permettait de mettre son grain de sel tout le temps, ce qui avait le don de m'agacer. Mais je ne pouvais le lui dire. Elle ne comprendrait pas.

Assise à une table, on passait plus de temps à parler qu'à regarder les menus. De toute façon, on avait le temps de passer commande. C'était aux serveurs de s'adapter, non ? Dans tous les cas, je faisais partie de cette élite, qui se croit au-dessus. Et ce n'est pas un serveur qui allait me dire quoi faire et quand commander. Néanmoins, on avait, au moins, choisi nos boissons. J'allais, pour ma part, prendre un cocktail alcoolisé, en espérant que l'on ne me demande pas ma carte d'identité. Je risquais de faire un scandale si on me le refusait. Je n'aimais pas trop que l'on me dise non. "Bonsoir, vous avez fait votre choix ? Au moins concernant les boissons peut-être ? " Je regardais la serveuse de haut en bas. Elle avait l'air gentille, mais à mes yeux elle faisait partie du bas peuple. Je répondis presque du tac au tac : « Moi, je vais prendre un Sex on the beach. » On oublie la politesse et la courtoisie. J'attendis simplement qu'elle fasse son truc sur sa tablette, pendant que mes copines commandaient aussi leur boisson. « Par contre, on n'a pas encore choisi pour les plats. C'est possible de revenir plus tard ? » Question rhétorique. Elle serait certainement obligée de revenir plus tard. D'ailleurs, je n'avais aucune idée de ce que j'allais bien pouvoir manger.